On croirait le scénario d’un mauvais film capitaliste concocté pour faire détester les syndicats… Et bien, non, ici, pas besoin de faire appel à Hollywood. Il y a juste besoin d’un « délégué syndical » (je suis obligé de l’appeler comme ça, puisqu’il l’est réellement), et d’une « inspectrice du travail » sans scrupules. Au résultat : 45 « alertes sociales » pour harcèlement qui passent à la trappe, et presque 200 salariés menacés de chômage à plus ou moins brève échéance, un organisme d’utilité public reconnu à mettre au rebus.
Dans cette affaire, tout le monde semble jouer à contre-emploi. Le délégué du syndicat majoritaire, en l’occurrence l’UNSA, qui exerce une influence tyrannique de type quasi mafieuse sur les syndicalistes et les salariés. La direction, récemment arrivée aux affaires, après la démission, rythmée au fil d’échecs successifs, des directions précédentes, qui prend fait et cause pour les salariés en souffrance. L’inspection du travail, qui au lieu de considérer l’affaire dans son ensemble et l’intérêt des collègues, prend la défense du salarié protégé parce qu’il est délégué syndical, également cadre et chef de service.
Dresser le décor
Nous sommes au GPIS (1), le groupement parisien inter-bailleurs de surveillance, une entité de sécurité privée, sans but lucratif, en charge de la surveillance des logements sociaux parisiens, et propriété d’un groupement d’intérêt économique associant de multiples bailleurs, comme Paris Habitat, la RIVP, I3F, SNCF Immobilier, pour ne citer que les plus importants. Le personnel, au nombre de quelque 200 agents et cadres, essentiellement recruté en région parisienne, est socialement modeste et d’origines très variées. De braves gens, souvent chargés de familles aux revenus très modestes, qui ne demandent pas mieux que de bien faire le boulot, dans des conditions dignes, matériellement et… moralement. Les missions sont nombreuses, les équipes se succèdent toutes les nuits sur le terrain, aiguillées par le PC opérationnel. La qualité du service semble être là, puisque les décideurs du GIE, sous la présidence de Stéphane Dauphin, DG de Paris Habitat, envisagent de multiples projets pour le développement de cet outil indispensable pour compléter l’action insuffisante de la police.
La mission n’est pas toujours facile, puisqu’elle confronte les employés à l’insécurité et à la délinquance. Les collègues ont besoin qu’on les écoute, côté cadres, qui sont supposés être là pour ça, et côté syndical, évidemment. Et là commencent les problèmes.
Le syndicalisme pour servir ses ambitions
Le représentant du syndicat majoritaire, DK, est l’homme fort du CSE. Verbe haut, invective facile, manifestement hyperactif, il s’est taillé petit à petit un GPIS officieux à sa mesure, depuis son arrivée en 2009. Ambitieux et capable, il n’a pas hésité à accumuler les formations, à acquérir les compétences qui l’ont rendu indispensable aux yeux de ses camarades, et à ceux de ses chefs. Au point d’accéder au statut de cadre, à la faveur d’une équipe dirigeante un peu dépassée, certains diront compromise, qui n’est pas loin de lui avoir donné les « clés du groupement ».
Malin et adaptable, il sait faire valoir les droits des salariés, et se positionner comme interlocuteur indispensable entre eux et la hiérarchie. Au point de remporter les élections en interne et d’être un membre clé du CSE. Au point de se faire valoir efficacement auprès de l’UNSA et de jouer un rôle comme représentant des métiers de la sécurité au niveau national.
Coup de théâtre
Tout semblait aller bien pour lui jusqu’au changement d’équipe intervenu l’été dernier. Michael Sibilleau, un sous-préfet, est nommé à la tête du GPIS. Cet ancien gendarme reçoit la mission de rectifier ce qui doit l’être dans la gestion et le management de l’organisme, et de donner corps aux projets qui trainent dans les cartons. Un ancien militaire comme patron, on est en droit de s’interroger sur les choix du GIE, et, comme moi dans la même situation, on aurait pu craindre un dialogue social à la chlague.
Et bien, non, pas du tout ! Coups de théâtre en cascade en cette fin 2020. En quelques jours, des dizaines de salariés (sur un total de moins de 200, rappelons-le), prennent leur courage à deux mains et montent au créneau, à l’oral et par écrit, pour signaler les multiples abus d’autorité, et les harcèlements multiples dont ils sont victimes de la part de DK et de ses proches, peu nombreux mais aux postes clés. De façon répétée : brimades, invectives, injures à caractère racial ou sexuel, discrimination pour la prise de service, pressions multiples pour adhérer au syndicat en contre partie d’un soutien dans la progression au sein du GPIS, incitations à la démission, marginalisation des non-alignés, surveillance officieuse des faits et gestes de tout le personnel par le système de vidéo surveillance, silence complaisant sur les fautes professionnelles des copains, usage des réseaux sociaux pour harceler les gens… La liste des sévices reprochés par ses collègues à ce délégué syndical semble interminable. Au point que les arrêts de travail se multiplient. Au point que certains envisagent de démissionner… Au point que certains envisagent même de mettre fin à leur vie !
Appelée à la rescousse par les délégués des autres organisations syndicales, qui se sentent impuissantes face au système DK, la direction ne cherche pas le compromis, l’entente à l’amiable, comme dans bien des cas que nous avons vus trop souvent, dans nos combats syndicaux. Elle voit les gens qui souffrent, et lance une enquête interne : auditions par dizaines, mobilisation de la médecine du travail, messages de soutien, engagement. Mise à pied conservatoire de DK début février. Avis favorable du CSE à son licenciement pour faute grave. Oui, rendez-vous compte, avis favorable d’un CSE initialement acquis à sa cause ! Et même, pour dire la gravité de la chose, saisine de la justice qui aurait nommé un juge pour enquêter !
Trahison !
Le 22 février 2021, la direction remet un énorme dossier à l’inspection du travail, portant la confiance d’une cinquantaine de salariés pleinement solidaires, et d’une majorité silencieuse d’une centaine d’autres, en l’impartialité et en le sens du collectif, bref, en le sens de sa mission de cet organisme du dialogue social, que nous avons tous vu le plus souvent comme un recours salutaire.
Longue attente des 2 mois prévus par le Code du travail, entretiens et fournitures de pièces complémentaires dans le cadre de la procédure contradictoire. Et le 21 avril, patatra… L’inspectrice du travail, AC, déléguée CGT (vous avez bien lu, déléguée Cégété !!!) prend fait et cause pour DK. À croire qu’elle n’a pas pris connaissance des 45 plaintes, à croire qu’elle n’a pas entendu la médecine du travail, à croire qu’elle n’a pas lu l’avis favorable du CSE, à croire que les salariés du GPIS, ce sont des lignes sur un tableau excel… ou pire, … à croire qu’elle est complice des manip de DK…
La fin du GPIS ?
Conséquences immédiates : c’est l’effondrement du moral chez les salariés du GPIS. Dès le 23 avril, droit de retrait de plusieurs, qui bloquent le service une première nuit, à contre-cœur, mais ils ont trop souffert de ces années de hiérarchie parallèle… Ceux qui connaissent un peu ce genre de prestation savent très bien que ça ne peut pas durer longtemps. Et après ? On ferme le GPIS ? Tout le monde dehors, 200 chômeurs ?
Toutefois la lutte entreprise par les salariés du GPIS – et par leur direction avec eux (je le redis encore, même si c’est pas trop dans mes schémas) – n’est pas terminée. Il existe plusieurs recours, assez longs, auprès du ministère, auprès du Tribunal administratif. Il faut qu’ils s’accrochent ! Et puis, il y a les syndicats auxquels sont affiliés les collèges du GPIS. Il serait grand temps qu’ils se mobilisent, comme leur base !