Main basse sur le secteur de l’énergie : les Canetons du Châtelet à la manœuvre

2020, l’année de tous les dangers pour le secteur énergétique français. En envisageant de confier les rênes d’Engie à Jean-Pierre Clamadieu, le gouvernement prend le risque d’un démantèlement de ce fleuron français, démantèlement souhaité en sous-main par un discret groupe de financiers et industriels activistes.

A peine l’heure des vœux passées, et la nouvelle année s’annonce déjà mouvementée chez Engie. En ligne de lire, des remaniements annoncés au sommet, voulus par une majorité du conseil d’administration. Derrière le conseil d’administration, l’Etat, principal actionnaire avec 23,64% du capital et 34,11% des droits de vote, aura le dernier mot. Mais quoi qu’il en soit, l’heure n‘est plus à la galanterie : haro sur la seule femme dirigeante du CAC 40, Isabelle Kocher, dont les retombées du plan « énergie trois D (Décarbonée, Décentralisée, Digitalisée) » ne sont pas fait sentir assez vite au goût des marchés financiers. « Peu d’entreprises du CAC 40 se seront transformées aussi vite et aussi profondément qu’Engie. » expliquait pourtant récemment Le Monde[1].

Pour juger de la crédibilité du principal prétendant, encore faut-il, cependant, regarder le précédent bilan de Jean-Pierre Clamadieu. Durant son mandat de président exécutif à la tête du chimiste belge Solvay (mai 2012 à février 2019), l’action Solvay a progressé de 16%… quand le cours de celles des concurrents explosait : +165% pour Bel20 et +242% pour DSM. Ajoutons à cela des investissement réguliers et infructueux dans le secteur des énergies fossiles et le portrait sera complet, mais plutôt inquiétant pour l’avenir d’Engie.

Au-delà de la personne du PDG, c’est en effet toute la stratégie et l’avenir du groupe qui se jouent actuellement. Un changement brutal de direction fait en effet craindre à court terme le démantèlement et la vente en appartement du groupe[2]. La menace est bien réelle. La loi PACTE a levé le seuil minimal de détention étatique dans le capital d’Engie[3] et déjà, en interne, une stratégie de rationalisation et de scission du groupe existe[4].

Les Canetons à la manœuvre

En nommant celui qui était alors un de ses favoris[5], Emmanuel Macron a peut-être ainsi fait entrer le loup dans la bergerie. L’intérêt exclusif de l’intéressé pour le cours de bourse pourrait être fatal au géant énergétique. « Les gens qui sont au pouvoir vont chercher à cristalliser la valeur avant de sortir – à un horizon de 12 à 18 mois – et c’est là que Clamadieu sera déterminant », relatait Reuters[6], il y a… 18 mois. Mais pour « cristalliser la valeur » rapidement, il faut vendre et vendre bien, ce qui signifie déposséder le groupe de ce qui fait sa valeur comme les activités de distribution de gaz, par exemple. Satisfaire les actionnaires au plus vite à un coût : l’intégrité d’Engie.

Pour mener à bien ce projet, Jean-Pierre Clamadieu peut compter sur un cercle discret autour de lui : les Canetons du Châtelet. Se fier à la consonance drolatique serait une erreur, l’influence des anciens conseillers de Martine Aubry à son passage au Ministère du Travail (l’hôtel du Chatelet) en 1991[7] est considérable. Chez eux l’entraide se mut en un entre soit efficace. Pour se maintenir à la SNCF Guillaume Pépy, l’ancien directeur de cabinet d’Aubry a souvent compter sur David Azéma, lors du son passage à Matignon (après quelques années à la… SNCF) ou, plus récemment sur Murielle Pénicaud[8] à son retour au Châtelet. A la tête de l’Agence de Participations de l’Etat, Monsieur Azéma « discutait d’égal à égal avec le secrétaire général adjoint de l’Elysée… Emmanuel Macron » indiquait Le Point soulignant « sa puissance de feu digne d’un ministre en exercice pouvant faire et défaire des carrières de PDG »[9]. Reconverti en financier, pour la banque d’affaires américaine, Perella Weinberg, il ne cache pas son intérêt pour… le secteur énergétique français[10].

Moins médiatique mais tout aussi puissant, l’ex-DRH d’Air France, Gilles Gateau, autre caneton désormais directeur de mission chez… EDF, se montre très intéressé par son concurrent Engie. Guillaume Pépy pourra aussi manœuvrer chez Suez, première filiale d’Engie, où il est administrateur indépendant.

Face à la catastrophe annoncée, le transfert à Bercy de ce dossier – sans doute trop explosif pour l’Elysée – pourrait changer la donne. En décembre, Bruno Le Maire avait déjà temporisé face à un Jean-Pierre Clamadieu trop pressé qui souhaitait réunir en urgence, un dimanche, le conseil d’administration pour statuer du sort d’Isabelle Kocher[11]. Aujourd’hui, points de liens entre BLM et les Canetons. « Transfuge des Républicains, le Ministre de l’Economie reste un homme politique à part dans la Macronie ». Pour lui, pas question a priori de mettre en péril le patrimoine industriel national et de menacer les fleurons comme Engie. Affaire à suivre.

[1] https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/03/01/la-strategie-bas-carbone-d-engie-pour-etre-un-leader-de-la-transition-energetique_5430024_3234.html

[2] https://www.lefigaro.fr/societes/isabelle-kocher-demanteler-et-vendre-engie-par-appartements-non-20191204

[3] https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/agence-participations-etat/COR_231019_RA_APE-web.pdf

[4] https://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/engie-envisage-de-changer-de-patron-en-poussant-vers-la-sortie-isabelle-kocher-1817279.html

[5] https://www.challenges.fr/entreprise/emmanuel-macron-fait-nommer-jean-pierre-clamadieu-a-la-tete-d-engie_567097

[6] https://www.boursorama.com/bourse/actualites/rpt-bourse-engie-le-marche-espere-un-nouvel-elan-avec-l-arrivee-de-clamadieu-184491f82e8b18a17f5bf4290219c270

[7] https://www.lesechos.fr/1991/05/cabinet-de-martine-aubry-947542

[8] https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/sncf/sncf-guillaume-pepy-l-homme-qui-ne-veut-pas-descendre-du-train-en-marche_2551149.html

[9] https://www.lepoint.fr/politique/azema-l-autre-ministre-de-bercy-07-03-2013-1690742_20.php

[10] https://www.lesechos.fr/2018/04/les-gens-de-wall-street-sont-generalement-tres-mauvais-pour-predire-lavenir-1119328

[11] https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/la-patronne-d-engie-auditee-et-rassuree_2111531.html